DE L’IMPACT DE LA COVID-19 SUR L’EXECUTION DU BAIL A USAGE PROFESSIONNEL EN RDC

Par Maître Hubert KALUKANDA MASHATA, Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga et Doctorant en droit à l’Université de Lubumbashi.
Pour citer cette publication :
Hubert KALUKANDA MASHATA, De l’impact de la Covid-19 sur l’exécution du bail à usage professionnel en RDC, Lubumbashi, Éditions Fondation Hubert Kalukanda, août 2021.

0. INTRODUCTION GENERALE

Le 15 juin 2021, le Président de la République Démocratique du Congo (RDC) après concertation avec la Task force de la Présidence et le Secrétariat technique de lutte contre la pandémie, a pris quelques nouvelles mesures « avec effet immédiat » visant à lutter contre la troisième vague de Covid-19 qui sévit au pays depuis le début juin. La nouveauté parmi elles, c’est la fermeture des boites de nuit et des discothèques.

Lesdites mesures intéressent notre étude du fait qu’elles ont un impact sur les relations entre bailleur et preneur.
De manière générale, le louage d’un bien meuble ou immeuble est garanti par les prescrits de l’article 373 du Décret du 30 juillet 1888 portant code civil des obligations, appelé communément Code Civil, Livre III . Le louage d’un bien immeuble est appelé « le bail », (mot tiré du vieux français : bailler, qui signifie donner). D’où, l’expression : « donner à bail un immeuble », pour dire « louer un immeuble ». La personne qui donne à bail un immeuble est appelée « le bailleur », et celle qui prend en location l’immeuble est appelée « le locataire ». Le locataire est également appelé « le preneur », et le prix du bail est appelé « le loyer ».

Il confère à la partie qui prend en location la chose, qui en constitue l’objet, un droit d’usage et de jouissance. Le preneur n’acquiert pas d’autres droits sur la chose qui lui est remise (ou délivrée). C’est là que réside la différence essentielle d’avec la vente . En sus, le paiement de loyer permet de distinguer le bail d’avec le prêt à usage ou le commodat.
En RDC, il y’a lieu de distinguer le bail professionnel et les baux résidentiel et socio-culturel.

La présente réflexion examine les conséquences qui découlent de la fermeture obligatoire des boites de nuit et des discothèques dans le cadre du bail à usage professionnel par ce questionnement :

1. Le locataire doit-il continuer à payer son loyer et ses charges au bailleur?
2. Le non-paiement de loyer par le preneur peut-il être toléré ou accepté par le bailleur ?
3. Toute pandémie est-elle un cas fortuit ou un cas de force majeure ?
4. Le Covid-19 est-il ou peut-il être considéré comme un cas de force majeure pouvant justifier l’inexécution d’une obligation contractuelle ?
5. Le bailleur est-il fondé d’expulser le preneur qui ne paye pas le loyer ?
6. Quelles sont les mesures prises par l’Etat pour accompagner les entreprises en difficulté ?

En France, le Ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a déclaré le 28 février 2020 que « l’Etat considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises » .
En droit commun, le caractère de force majeure reste est et demeure soumis à l’appréciation souveraine des Cours et Tribunaux.

La qualification de force majeure doit être caractérisée par la réunion de trois éléments : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité.
S’agissant de la Covid-19, la réunion de ces trois éléments parait non contestable. En l’absence de traitement préventif d’une part et curatif d’autre part, la Covid-19 est et semble également présenter le caractère d’une circonstance irrésistible.

En sus, la mesure de fermeture des boites de nuit et discothèques suite au Covid-19 ne peut pas être considérée comme un fait du prince, qui peut être prévu et qui peut parfois être évité, surtout si elle est illégale. Cette sévérité s’explique par le fait que, la stabilité des contrats est un principe essentiel : le débiteur reste tenu, devrait-il être ruiné par l’exécution de son obligation .

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré, le 30 janvier 2020, que l’émergence d’un nouveau coronavirus (Covid-19) constitue une urgence de santé publique de portée internationale.
C’est pourquoi, la présente analyse a le mérite de se focalise le plus sur l’impact de la Covid-19 sur l’exécution des obligations découlant du bail à usage professionnel.
Face à la crise du Coronavirus/COVID-19, bailleur et preneur d’un bien immeuble sont confrontés à la question de l’incidence de cette crise sur leur contrat de bail .

Hormis, l’introduction et la conclusion générales, l’analyse s’articule autour de points ci-après :

I. NOTIONS DU BAIL A USAGE PROFESSIONNEL

Aux termes de l’article 103 de l’Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général (AUDCG) qui dispose que : « Est réputé bail à usage professionnel toute convention, écrite ou non, entre une personne investie par la loi ou une convention du droit de donner en location tout ou partie d’un immeuble compris dans le champ d’application du présent Titre, et une autre personne physique ou morale, permettant à celle-ci, le preneur, d’exercer dans les lieux avec l’accord de celle-là, le bailleur, une activité commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activité professionnelle ».

Il découle de cette disposition du droit communautaire que le bail à usage professionnel est une convention entre parties qui s’obligent mutuellement des obligations, parmi lesquelles, une partie devra exercer dans les lieux avec l’accord de l’autre, le bailleur, une activité commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activité professionnelle.

La présente réflexion définit le bail à usage professionnel comme toute convention, écrite ou non, entre personne physique ou morale de donner en location un bien immeuble à une autre personne physique ou morale, en vue d’occuper l’immeuble pour diverses activités notamment activité commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activité libérale.

II. CARACTERES DU CONTRAT DE BAIL A USAGE PROFESSIONNEL

Nul n’ignore que le bail revêt, ainsi, un certain nombre de caractères notamment :
- C’est un contrat à titre onéreux, c’est-à-dire que l’usage et la jouissance de la chose sont concédés moyennant une contrepartie appelée le loyer;
- C’est un contrat synallagmatique, dont les obligations pèsent sur chacune des parties au contrat ;
- C’est un contrat négociable, c’est-à-dire les parties au contrat peuvent renégocier ou réviser certaines clauses, en vertu de l’autonomie de la volonté des parties ;
- C’est un contrat successif, pour dire que les obligations de chacune des parties s’exécutent en s’échelonnant dans le temps. L’usage et la jouissance de la chose louée sont à cet effet des biens irréversibles. C’est la raison pour laquelle le bail ne se prête pas à la résolution, c’est-à-dire à la dissolution avec effet rétroactif, mais à la résiliation, c’est-à-dire la dissolution pour l’avenir;
- C’est un contrat temporaire pour la simple raison que la partie qui donne la chose en location s’oblige à en faire jouir l’autre pendant un certain temps;
- C’est également un contrat non attaché à la personne, c’est-à-dire qu’il n’est pas, en principe, conclu intuitu personae. Autrement dit, le preneur du bail a le droit de sous-louer ou de céder son bail.

III. FORMATION DU CONTRAT DE BAIL

D’emblée, le contrat de bail, n’est soumis à aucune condition de forme. Il est parfait entre les parties dès qu’elles sont convenues de la chose et du prix. L’acte qui en est dressé ne sert que de preuve littérale. Les règles générales sur les preuves s’appliquent.
Il se déduit que le bail se forme « solus consensus obligationae », c’est-à-dire du seul consentement des parties. D’où le respect de la parole est de rigueur . Aucun écrit n’est exigé, mais l’écrit joue un rôle en matière de preuve. Toutefois, la formation du bail n’exclue pas les conditions de validité des conventions prévues à l’article 8 du Code civil, livre III, en dehors desquelles il y’a les conditions énumérées à l’article 112 de l’AUDCG sus évoqué : la chose et le prix.

IV. OBLIGATIONS DU BAILLEUR

L’article 105 de l’Acte Uniforme susmentionné impose une obligation au bailleur de délivrer l’immeuble en ce qu’il dispose que : « Le bailleur est tenu de délivrer les locaux en bon état. Il est présumé avoir rempli cette obligation :
- Lorsque le bail est verbal ;
- Ou lorsque le preneur a signé le bail sans formuler de réserve quant à l’état des locaux ».

Bien plus, il doit les entretenir et, enfin, garantir l’usage et la jouissance au locataire. En imposant au bailleur l’obligation de délivrance, le preneur peut, en cas d’inexécution du bailleur, demander soit l’exécution forcée, soit opposer l’exceptio non adimpleti contractus (ou l’exception d’inexécution) en vue d’obtenir la suspension du paiement du loyer.
En sus, l’article 109 de l’AUDCG rend le bailleur responsable envers le preneur du trouble de jouissance survenu de son fait, ou du fait de ses ayants-droit ou de ses préposés.

V. OBLIGATIONS DU PRENEUR

Il est exigé au preneur deux obligations principales, à savoir : payer le prix du bail aux termes convenus et user de la chose louée en bon père de famille et ce, conformément aux articles 112 et 113 de l’AUDCG sus évoqué.

En outre, l’article 114 AUDCG dispose que : « Le preneur est tenu aux réparations d’entretien. Il répond des obligations ou des pertes dues à un défaut d’entretien au cours du bail ».
L’article 33 du Décret de 1888 dispose que : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

C’est dans cette logique que, l’alinéa 1 de l’article 133 de l’Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général dispose que : « le preneur et le bailleur sont tenus chacun en ce qui le concerne au respect de chacune des clauses et conditions du bail sous peine de résiliation... ». Et l’alinéa 4 du même article 133 de l’Acte Uniforme précité précise que : « Le contrat de bail peut prévoir une clause résolutoire de plein droit.
La juridiction compétente statuant à bref délai constate la résiliation du bail et prononce, le cas échéant, l’expulsion du preneur et de tout occupant de son chef, en cas d’inexécution d’une clause ou d’une condition du bail après la mise en demeure visée aux alinéas précédents… ».

VI. EFFETS DU CAS FORTUIT OU DE FORCE MAJEURE

Nul n’ignore que le cas fortuit et de force majeure libèrent le débiteur. L’obligation est éteinte et le débiteur ne doit aucun dommage-intérêts et ce, conformément aux articles 46 et 191 du Code civil congolais, livre III.
Il en est cependant autrement si le débiteur a pris à sa charge les cas fortuits, en ce que l’article 423 du même code civil dispose que : « Le preneur peut être chargé des cas fortuits par une stipulation expresse » ; ou lorsque le débiteur est en demeure de s’exécuter.

CONCLUSION GENERALE

En définitive, le Covid-19 est un cas de force majeure qui relève du domaine de la loi. C’est dans ce sens que la France a considéré le Covid-19 comme un cas de force majeure pour les entreprises par la réunion de trois éléments : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité. A titre illustratif, un arrêt de principe du 13 janvier 1956, la Cour de cassation belge consacrait l’effet suspensif de la force majeure temporaire en ces termes, dans le cadre de la théorie des risques : « La force majeure, qui empêche une partie de remplir ses obligations, suspend l’exécution de tous les engagements nés d’un contrat synallagmatique, lorsque cet empêchement n’est que temporaire et que le contrat peut encore être utilement exécuté après le délai convenu; (…), pourtant, (…) si la force majeure persiste, de sorte que cette dernière condition n’est plus remplie, le contrat est dissous de plein droit».
Le non-paiement du loyer étant suffisant pour mettre en application l’article 101 de l’AUDCG, le bailleur est fondé d’expulser (ou de déguerpir) le preneur. L’expulsion d’un locataire est une mesure exceptionnelle qui ne peut être accordée qu’en cas de mauvaise foi persistante dans son chef.
D’aucun n’ignore que le cas de la force majeure permet d’activer la clause dite « de force majeure » du contrat, si elle existe, qui peut prévoir le non remboursement d’une partie ou de la totalité du prix stipulé au contrat ; permet de s’exonérer de sa responsabilité contractuelle ; suspend l’exécution du contrat, etc.

Il y’a lieu d’indiquer qu’en vertu du caractère négociable du bail, le preneur peut demander au bailleur la diminution du prix de loyer consécutivement aux effets néfastes du Covid-19 sur les activités professionnelles.
Ainsi, le Gouvernement de la RDC devrait ordonner à chaque Ministre selon les secteurs de prendre les mesures d’accompagnement, notamment la suspension des délais d’exécution de contrat et le financement des entreprises en difficulté. En sus, les mesures d’accompagnement peuvent consister à l’allègement ou exonérations de certaines taxes et impôts dus à l’Etat en faveur des entrepreneurs victimes des effets du Covid-19.

Toutefois, il n’est pas exclu aux entrepreneurs de pouvoir envisager la souscription volontaire de certaines assurances en vue de pallier aux différents problèmes auxquels ils sont exposés pendant cette période de Covid-19.

NOTES INFRA-PAGINALES

1. La présente contribution a fait l’objet d’une publication préalable dans le Cahier des Résumés des Journées Scientifiques de la Faculté de Droit de l’Université de Lubumbashi, du 13 au 14 août 2021.
2. Hubert KALUKANDA MASHATA, Bilan de 133 ans du Décret du 30 juillet 1888 portant code civil des obligations : nécessité d’une modification de certains articles, Lubumbashi, Edition Fondation Hubert Kalukanda, 31 juillet 2021, p.1.
3. Gérard KATAMBWE MALIPO, Précis de droit civil : Les contrats usuels, Lubumbashi, Presses Universitaires de Lubumbashi, 2011, p.194.
4. Article 101 de l’Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général.
5. Article 1 de la loi N° 15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnels qui dispose que : « La présente loi régit les rapports entre le bailleur et le preneur. Elle s’applique aux baux résidentiel et socioculturel ».
6. Clément DIAZ, Le Covid-19 constitue-t-il un cas de force majeure pouvant justifier l’inexécution d’une obligation contractuelle? Disponible en ligne sur www.village-justice.com/articles/Covid-19-constitue-cas-force-majeure-pouvant- justifier-inexécution-une, 35480.html
7. KALONGO MBIKAYI, Droit civil : Les obligations, Kinshasa, CRDJ, p. 128.
8. Mathieu HIGNY, Droit immobilier et Covid-19 : Le paiement du loyer et des charges au bailleur, Bruxelles, Larcier, 2020, p.3
9. KALONGO MBIKAYI, Op.cit.,p.128.
10. Cass., 27 juin 1946, Pas., 1946, I, pp. 249-253, J.T., 1947, pp. 166-168 note M. Sluzny, R.C.J.B., 1947, pp. 268-290, dans Mathieu HIGNY, Op.cit., p.12.


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COMMENTAIRES :

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    TRÈS intéressant vraiment

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    TRÈS intéressant vraiment

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    Dunia DUNIA

    Très intéressante réflexion