Une grande partie de la doctrine traitant de la question de la propriété intellectuelle au Congo en particulier ne s’étale que rarement de façon large sur la protection des droits d’auteur des œuvres cinématographiques, à l’avantage de ceux des œuvres littéraires et musicales. Pourtant les scénaristes et réalisateurs congolais sont tout autant prolixes que les écrivains, les chanteurs et les musiciens. La filmographie congolaise compte des milliers de longs et courts métrages. Faut-il compter aussi de nos jours, avec l’avènement de divers réseaux sociaux, le créations originales des Youtubeurs, Tiktokeurs etc.
Par ailleurs, si la gestion des droits d’auteurs des œuvres cinématographiques est cause d’une kyrielle de différends sous d’autres cieux, en République Démocratique du Congo ce sont le plus souvent les œuvres musicales qui s’amènent devant le juge. Est-ce parce que la propriété intellectuelle des films de chez nous ne pose pas de problème ? Loin s’en faut ! Car entre autres problèmes qu’elle pose, à l’instar de celui des contrats des acteurs (qui peuvent être des contrats d’entreprise ou de travail), ou encore le suivi de la distribution du produit, etc., il y a d’abord celui de l’identification de vrais auteurs du film final, ceux qui ont des droits d’auteurs sur l’œuvre, puisque à la réalisation d’un film contribuent de nombreuses personnes dont il faut délimiter les droits.
D’où, est-il important que je vous présente d’abord ci-bas les conditions légales pour qu’une œuvre cinématographique soit protégée par le droit congolais, cà d les critères pour qu’un film soit dit congolais (1), avant de ressortir l’intérêt de l'identification des titulaires des droits d’auteurs sur lesdites œuvres ( 2) puis l'identité des titulaires des droits d’auteurs sur les œuvres filmiques congolaises ( 3 ) et enfin les procédures juridiques de gestion de ces droits ( 4 )
1. Comment déterminer « la nationalité » d’un film ?
Connaitre la nationalité d’un film, ce n’est pas déterminer « le lien juridique … l'expression juridique du fait que l'individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un acte de l'autorité, est en fait rattaché à la population de l'Etat qui la lui confère plus qu'à celle de tout autre Etat » au sens du célèbre arrêt Nottebohm, mais connaitre le pays d’origine de l’œuvre, sa lex loci protectionis de principe, la législation du pays à laquelle il est soumis et qui la protège, puisque la protection de la propriété intellectuelle est d’abord territoriale.
D’un point de vue juridique, l’intérêt est de déterminer dans quel pays l’œuvre est-elle protégée, à quelle juridiction nationale réclamer protection de ses droits, hormis les éventualités d’atteinte en dehors des frontières et les cas de protection internationale offerte par des conventions internationales et régionales.
D’un point de vue économique, chaque pays gagne en valeur ajoutée et en prestige lorsque ses productions sont primées et encensées sur la scène internationale ; la guerre des produits industriels qui se vit dans le commerce international s’y vit aussi. On l’observe très bien lors des festivals internationaux des films.
La République démocratique du Congo a posé ses critères pour déterminer la nationalité d’une œuvre cinématographique. Si l’on en croit l’art 3 de l’ordonnance-loi portant protection des droits d’auteurs et droits voisins en République Démocratique du Congo, associé à l’article 91 de la même ordonnance, le législateur a fait le choix de « la valeur ajoutée » comme élément de rattachement des œuvres cinématographiques. C’est dire que devront être considérées comme œuvres d’origine congolaise et donc régies et protégées par le droit congolais, celles produites, réalisées, sur le territoire de l’Etat Congolais et éventuellement porteuses d’un numéro d’enregistrement attribué par le service de dépôt légal congolais, quelle que soit l’origine des fonds nécessaires à la production du film ou la nationalité du réalisateur comme c’est prévu dans certaines autres législations. Mais il est à noter que ce principe ne vaut que lorsque les auteurs n’ont pas fait de choix expressis verbiss de la législation qui protègera leur œuvre. Lorsqu’ils ont opéré un choix, c’est la législation désignée par les co-auteurs qui sera considérée comme pays d’origine de l’œuvre.
2. Pourquoi identifier les titulaires des droits d’auteurs sur les œuvres cinématographiques ?
L’intérêt de l’identification de vrais auteurs d’une œuvre cinématographique est vaste puisqu’autour d’une pareille œuvre il y a une pléthore de personnes et une complexe pratique juridique.
Les participants à un projet cinématographique ont tout intérêt à identifier avec précision les titulaires du projet. D’autant plus que de nombreuses personnes contribuent à la réalisation de l’œuvre finale à des titres divers sans que leurs participations à toutes ne leur donnent des droits sur l’œuvre. Le but est d’empêcher aux tiers d'utiliser leurs œuvres sans leur permission ou en tirer profit sans leur participation. Un autre but est aussi de mettre dans des moules juridiques les contributions des uns et des autres. Il s’agit, in globo , de définir qui a fait quoi et mérite quoi.
3. Qui sont les titulaires des droits d’auteurs sur les œuvres cinématographiques ?
La question de déterminer les vrais titulaires des droits d’auteurs sur les œuvres cinématographiques est complexe, parce que l’œuvre cinématographique n’est que très rarement l’œuvre d’une seule personne. En effet, il est souvent impossible d’être en même temps l’auteur du scénario, réalisateur et par-dessus tout producteur.
« Il suffit de voir la longueur du générique de fin d’un film pour se faire une idée de la multitude de personnes qui ont pris part à sa réalisation. C’est une entreprise complexe et collective, qui donne naissance à un grand nombre des droits à différents niveaux ayant trait aux différents éléments d’une production … » peut-on lire sur le site de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, OMPI.
La convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1986 laisse aux pays membres de l’union pour la protection des droits d’auteurs sur les œuvres littéraires et artistiques la liberté de déterminer les titulaires du droit d’auteur sur l’œuvre cinématographique, lorsque la protection y est réclamée .
Ce faisant, la RDC par l’Ordonnance-loi n°86-033 du 5 avril 1986 portant protection des droits d’auteurs et droits voisins en son article 16 détermine comme suit :
Le droit d’auteur sur une œuvre cinématographique appartient en commun aux créateurs suivants :
• 1° l’auteur du scénario ;
• 2° l’auteur de l’adaptation ;
• 3° l’auteur du texte parlé ;
• 4° l’auteur de la composition musicale avec ou sans paroles spécialement réalisée pour cette œuvre ;
• 5° le réalisateur ;
• 6° le dessinateur principal, lorsqu’il s’agit d’un dessin animé ;
• 7° l’auteur de l’œuvre originaire, lorsque l’œuvre cinématographique est tirée d’une œuvre préexistante encore protégée.
Le problème c’est qu’une telle œuvre n’est point commercialisable, tellement elle est farcie de danger au vu de nombreuses prétentions juridiques pesant sur elle ; l’un des dangers encourus est que si l’œuvre est divisible, chacun a le droit d’exploiter à sa guise l’œuvre avec laquelle elle a contribué au film.
D’où les droits des auteurs vont devoir suivre un parcours juridique et mercantile, utile à mettre les pendules à l’heure, qu’il va falloir gérer.
4. Quels sont les mécanismes juridiques pour gérer tous les droits d’auteurs sur une œuvre cinématographique ?
Le professeur et avocat Jean-Michel KUMBU ki NGIMBI estime à juste titre qu’un film est toujours une œuvre de collaboration dont la paternité revient simultanément à l’auteur du scénario, de l’adaptation, du texte parlé, de la composition musicale réalisée pour cette œuvre, le réalisateur, le dessinateur principal lorsqu’il s’agit d’un cartoon, l’auteur de l’œuvre originaire lorsque l’œuvre cinématographique est tirée d’une œuvre préexistante encore protégée. Et de poursuivre que, sur le plan du régime juridique le droit d’auteur sur une œuvre de collaboration appartient aux co-auteurs qui exercent leurs droits d’un commun accord. En cas de désaccord, il appartient à la juridiction compétente de statuer ; Notez que ladite juridiction peut s’agir du tribunal de commerce du ressort du domicile d’un des auteurs si l’œuvre est protégée en République Démocratique du Congo.
C’est dire qu’en principe, les acteurs congolais qui ne font tout le temps qu’improviser des paroles sur le plateau de tournage, les réalisateurs, les auteurs des génériques de début ou de fin de film faites spécialement pour le besoin, ainsi que le dessinateur principal sont au même titre auteurs de l’œuvre cinématographique finale, tout le temps de leurs vies et cinquante ans après leur décès.
Cependant, économiquement une telle œuvre est difficilement profitable ni même exploitable. Il est toujours apparu mieux pour les co-auteurs des œuvres cinématographiques de céder leurs droits patrimoniaux (économiques) à un producteur, par un contrat, et qui devient ainsi titulaire dérivé de l’œuvre. Les auteurs originaires de l’œuvre mentionnés ci-dessus ne gardant que des droits moraux inhérents à tous les auteurs. La convention de cession des droits patrimoniaux ou contrat de réalisation cinématographique ( articles 58 à 66 ) entre les co-auteurs des œuvres cinématographiques et le producteur prévoit qu’en contrepartie le producteur verse aux co-auteurs des royalties.
On peut encore lire sur le site de l’OMPI que seul un historique des droits clairement établis (attestant de la propriété des droits sous-jacents à une œuvre) permet à un producteur d’espérer conclure des accords avec des distributeurs.
En effet, il appartient souvent au producteur d’initier et mener tout le projet cinématographique. En conséquence, celui-ci signera successivement des contrats avec le scénariste, le réalisateur, les acteurs et tous les participants au projet à des titres divers ; et enfin, il signera avec les télédiffuseurs pour la distribution. Concernant le réalisateur, il sied de savoir que celui-ci devrait bénéficier d’un double statut juridique (celui d’auteur et salarié) et donc d’une double rémunération, en principe ; Être rémunéré d’abord comme employé pour son travail technique tout le temps de la réalisation du projet, ensuite avec des droits d’auteurs ( royalties ) en tant que co-auteur de l’œuvre.
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