TRAJECTOIRE CONSTITUTIONNELLE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO DEPUIS L’INDÉPENDANCE À NOS JOURS.

Le besoin de contrôler l’Administration puis de régler les litiges entre l’Administration et les administrés ont fait naître la juridiction administrative. Celle-ci est identifiée comme un organe doté du pouvoir de dire le droit à l’occasion des litiges mettant en cause les actes décisoires des autorités administratives centrales, provinciales et locales. Il nous paraît opportun, du moment où la République démocratique du Congo célèbre ses 61 ans de l’indépendance, de poser un regard diachronique sur les juridictions administratives congolaises suivant les drèves constitutionnelles.

Dès la naissance du Congo indépendant et souverain, officiellement le 30 juin 1960, la loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, sa toute première Constitution, du reste provisoire, avait déjà prévu un organe juridictionnel administratif en son article 226 disposant : « La Cour constitutionnelle est composée d’une chambre de constitutionnalité, d’une chambre des conflits et d’une chambre d’administration ».

Ah oui ! La compétence d’émettre des avis motivés ou de prononcer des arrêts sur, notamment les recours en annulation pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité et ceux en excès ou détournement de pouvoir formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives est attribuée à la chambre d’administration de la Cour constitutionnelle qui statue comme juge administratif et ce, conformément aux prévisions de l’article 236 de la loi fondamentale du 19 mai 1960.
Marquée par l’empreinte coloniale, scellée du sceau de l’Etat belge par le Ministre de Justice, Monsieur Laurent MERCHIERS, donnée par le Roi BAUDOIN le 19 mai 1960, la loi fondamentale fut adoptée dans l’attente d’une Constitution élaborée par les congolais. L’article 253 de la susdite loi fondamentale a attribué au Conseil d’Etat belge (créé par la loi du 23 décembre 1946 et, a fonctionné au Congo belge Rwanda-Urundi depuis l’extension de sa compétence par la loi du 15 avril 1958 belge) les compétences pour trancher également les litiges administratifs jusqu’à l’installation effective de la Cour constitutionnelle ; institution au sein de laquelle est né le tout premier organe juridictionnel administratif du Congo indépendant et souverain.

Hélas! Le déclin des relations diplomatiques entre le Congo et la Belgique qui tire sa source de l’intervention des troupes belges sur le territoire du Congo sans la demande du Gouvernement du Premier ministre Emery Patrice LUMUMBA, conduisit la Belgique à refuser cette clause de compétence transitoire prévue à l’article 253 sus allusionné. Refus qui apparait clairement au travers de l’arrêt Mahamba rendu par le Conseil d’Etat Belge dans l’affaire de succession du pouvoir coutumier sur le territoire de Walikale au Nord Kivu, déclarant se trouver dans l’impossibilité de rendre un arrêt concernant un Etat étranger. Conséquemment, le Congo embraye en retirant les compétences accordées aux institutions belges par le biais de la loi constitutionnelle du 18 juillet 1963. Cependant, la Cour constitutionnelle qui devrait porter la toute première juridiction administrative congolaise n’a pu être installée jusqu’à la venue de la Constitution du 1er août 1964 dite de Luluabourg.

A son tour, la Constitution de Luluabourg extrait la juridiction administrative de la Cour constitutionnelle pour l’intégrer dans la Cour suprême de justice, section administrative, puis dans la Cour d’appel en innovant également la section administrative en son sein suivant les articles 126 et 128. Cette Constitution a eu le mérite de tracer une ligne de démarcation entre le juge du recours contre les décisions administratives des autorités centrales (section administrative de la CSJ) et celui du recours contre celles des autorités provinciales et locales (section administrative C.A). En revanche, ces juridictions n’ont pas non plus été installées, car cet ordre juridique fut bouleversé à cause de l’inattendue prise du pouvoir par le Haut-Commandement de l’Armée nationale congolaise le 24 novembre 1965, convoquant ainsi, deux ans après, un nouveau texte constitutionnel.

Dans l’élan de sa précédente, la Constitution du 24 juin 1967, maintenant la vision moniste de l’organisation judiciaire, institue en ses articles 60 et 62, la Cour suprême de justice et les Cours d’appel dotées d’une section administrative pour chacune au côté de celle judiciaire qui ont été installées en 1969 pourtant, déjà le 23 novembre 1968 les magistrats de la Cour suprême de justice prêtèrent serment sous la gouverne du le Président de la République.

La Cour suprême de justice et les Cours d’appel de Léopoldville, d’Elisabethville et de Stanleyville (Kinshasa, Lubumbashi et Kisangani) aménagées, l’ordonnance-loi n°69/2 du 08 janvier 1969, renouvelée par l’ordonnance-loi n°82-017 du 31 mars 1982 portant procédure devant la Cour suprême de justice et l’ordonnance-loi n°82-020 du 31 mars 1982 portant code d’organisation et compétence judiciaire naquirent sur fondement de l’article 59 alinéa 2 la Constitution du 24 juin 1967. De la sorte, l’effectivité du fonctionnement, notamment des juridictions administratives été au rendez-vous, produisant ainsi un héritage jurisprudentiel remarquable de toute une génération.

Nonobstant ses 17 révisions dans une période de 20 ans, en croire le Professeur Jacques Djoli Eseng’Ekeli, la Constitution du 24 juin 1967 n’a pu se débarrasser du système moniste d’ordre juridictionnel, bien au contraire elle a étendu les racines dudit système en déversant sur la Cour suprême de justice, les compétences de la Cour constitutionnelle prévues en son article 59 au travers de révision constitutionnelle du 15 août 1974.

De la loi n°93-001 du 2 avril 1993 portant l’acte constitutionnel harmonisé relatif à la période de transition du 2 avril 1993, passant par l’acte constitutionnel de transition du 9 avril 1994 et le décret-loi constitutionnel n°003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en RDC jusqu’à la Constitution de la Transition du 4 avril 2003 aucun de ces textes n’a su bousculer totalement le monisme d’ordre juridictionnel grossoyé par la Constitution du 24 juin 1967 qui bloque l’autonomie de l’organisation des juridictions administratives, quand bien même que plusieurs langues clamaient et réclamaient contre ce système ayant, a soutenu le Professeur KABANGE NTABALA, engendré un état léthargique à la section administrative provocant l’absence des grands arrêts de principe.

Il a fallu attendre la Constitution du 18 février 2006, élaborée par le parlement de la transition et adoptée par le référendum du 18 au 19 décembre 2006, pour libérer les juridictions administratives des jougs de juridictions judicaires en instituant deux ordres juridictionnels (judiciaire et administratif) suivant les articles 153 et 154 en vigueur. Et bien ! Deux ordres juridictionnels, étant attendu qu’un ordre juridictionnel est l’ensemble des juridictions hiérarchisées, et une Cour constitutionnelle qu’est une juridiction spécialisée, mais pas un ordre juridictionnel.

Sur pied de l’article 153 de la Constitution du 18 février 2006, la loi-organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif fut proposée, adoptée et promulguée. Elle reprend le Conseil d’Etat, les Cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs comme juridictions de l’ordre administratif de droit commun et reconnait les juridictions administratives spécialisées à l’instar du Conseil supérieur de la magistrature Cour de compte, certains ordres libéraux etc.
En revanche, 15 ans durant, depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 18 février 2006, seul le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative, qui est effectivement installé et fonctionne depuis 2019.

Le monisme juridictionnel hante toujours le fonctionnement des juridictions administratives hiérarchiquement inférieures au Conseil d’Etat car, jusqu’à ce jour, ce sont les Cours d’appel de l’ordre judiciaire qui agissent transitoirement en lieu et place des Cours administratives d’appel et des tribunaux administratifs faute de leur installation effective.

L’encre de la Constitution sèche déjà, qu’attendent les gouvernants pour rendre effective la reforme juridictionnelle du coin administratif ? Ce 30 juin 2021, nous plaidons, unième fois, pour l’installation effective des juridictions de l’ordre administratif, autre que le Conseil d’Etat, instituées par la Constitution du 18 février 2006. Voue de plus d’un.

Maître FILA DINGANGA Péguy
Avocat au Barreau de Kinshasa/Gombe


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