NON MESSIEURS, UN ANCIEN PREMIER MINISTRE N'EST PAS UN PREMIER MINISTRE

L'actualitĂ© politique et judiciaire en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo est dominĂ©e depuis un temps par des enquĂȘtes et poursuites engagĂ©es pour Ă©lucider la dilapidation des deniers publics constatĂ©es dans l'exĂ©cution des diffĂ©rents marchĂ©s publics et plus particuliĂšrement du projet du parc agro-industriel de BUKANGALONZO.

Nous exposons dans ces lignes quelques observations Juridiques essentielles au sujet de la compétence ou non de la Cour Constitutionnelle pour juger un ancien Premier Ministre congolais :

- D'abord et avant tout, Monsieur MATATA PONYO MAPON, ancien Premier Ministre, dont le nom a été cité dans plusieurs rapports en lien avec ce projet, est poursuivi pour les faits qu'il aurait commis pendant qu'il exerçait les fonctions de Premier Ministre et non en tant que Ancien Premier Ministre,
- N'ayant plus la qualitĂ© de Premier Ministre, l'on ne peut pas lui reconnaĂźtre les prĂ©rogatives et privilĂšges attachĂ©s Ă  cette qualitĂ©. Ceci revient Ă  dire qu’il ne peut pas, Ă  ce jour, se prĂ©valoir des attributions et garanties liĂ©es Ă  cette fonction.
- Aussi, faudrait-il prĂ©ciser que le statut des anciens Premiers ministres en droit congolais est organisĂ© par le dĂ©cret 18/039 du 24 novembre 2018. Ce dĂ©cret dĂ©finit les droits et devoirs des anciens Premiers Ministres et ne traite pas de leur rĂ©gime rĂ©pressif. Ceci paraĂźt tout Ă  fait logique dans la mesure oĂč les privilĂšges et immunitĂ©s relĂšvent du domaine de la loi (L. YUMA BIABA, Manuel de Droit Administratif gĂ©nĂ©ral, CEDI, Kinshasa, pp. 44-46).
- Du point de vue pénal, ce dernier ne relÚve plus de la compétence de la Cour Constitutionnelle car l'article 164 de la Constitution reconnaßt à la Cour Constitutionnelle la qualité de juge pénal du Président de la République et du Premier Ministre (en fonction) de la République démocratique du Congo ainsi que de leurs co-auteurs et complices (Bienvenu WANE BAMEME, Cours de procédure pénale, Notes de cours, 2014-2015, pp. 53-56). Deux points de vue justifient cette compétence personnelle de cette juridiction en droit pénal constitutionnel :

Primo, parce que le PrĂ©sident de la RĂ©publique et le Premier Ministre en fonction sont dĂ©tenteurs des pouvoirs constitutionnels. C’est dans cette optique que la Constitution leur assigne un juge propre.
Secundo, l’intervention du juge constitutionnel se justifie car en cas de condamnation, le PrĂ©sident de la RĂ©publique et le Premier Ministre seront dĂ©chus de leurs charges par la Cour Constitutionnelle (article 167 alinĂ©a 1 de la Constitution).
- Il faut donc noter que la compĂ©tence de la Cour Constitutionnelle est conditionnĂ©e d'une part par la dĂ©tention de la qualitĂ© du PrĂ©sident de la RĂ©publique ou du Premier Ministre (ou de leurs co-auteurs et complices) et d'autre part par les faits infractionnels commis dans l'exercice ou Ă  l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Il s’agit lĂ  des deux conditions cumulatives.
La reconnaissance de cette compĂ©tence pĂ©nale Ă  la Cour Constitutionnelle procĂšde d’une vision trĂšs large de la justice constitutionnelle qui a pour vocation de garantir le respect gĂ©nĂ©ral de l’ordre constitutionnel de l’Etat (Marc VERDUSSEN, Les douze juges : la lĂ©gitimitĂ© de la Cour constitutionnelle, LABOR, Belgique, 2004, p.33).
- C'est dans ce cadre que l'alinĂ©a 2 de l'article 167 de la Constitution suspend les poursuites contre le PrĂ©sident de la RĂ©publique et le Premier Ministre pour les infractions commises en dehors de l'exercice de leurs fonctions.(Lire Ă©galement J. DJOLI ESENG’ELI, Droit constitutionnel : l’expĂ©rience congolaise (RDC), L’Harmattan, 2013, pp.206-207)
- Monsieur MATATA PONYO MAPON est au regard de sa qualité actuelle de Sénateur, justiciable devant la Cour de Cassation et non devant la Cour Constitutionnelle et ce, conformément à l'article 153 de la Constitution.
- Le principe de cristallisation des faits que certains juristes évoquent est un principe général du droit et conformément :

D’une part, Ă  l’article 153 alinĂ©a 4 de la Constitution : « Les Cours et Tribunaux, civils et militaires, appliquent les traitĂ©s internationaux dument ratifiĂ©s, les lois, les actes rĂ©glementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire Ă  l’ordre public ou aux bonnes mƓurs »
Et d’autre part, l’article 118 alinĂ©a 2 de la loi n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compĂ©tences des juridictions de l’ordre judiciaire dispose : « En cas d’absence de coutume ou lorsque celle-ci n’est pas conforme aux lois, Ă  l’ordre public et aux bonnes mƓurs, les Cours et tribunaux s’inspirent des principes gĂ©nĂ©raux du droit».
Il dĂ©coule de la lecture combinĂ©e de ces deux dispositions : la place qu’occupe cette source du droit et les conditions dans lesquelles cette source du droit peut connaitre application en droit congolais.
- Il est donc logique que l’on rĂ©serve primautĂ© Ă  la Constitution, Ă  la loi 13/011-B du 11 avril 2013 relative aux juridictions de l’ordre judiciaire, Ă  la loi 13/010 du 19 fĂ©vrier 2013 relative Ă  la procĂ©dure devant la Cour de cassation qui consacrent la compĂ©tence de la Cour de Cassation Ă  l’égard des SĂ©nateurs car comme le note Monsieur LUZOLO BAMBI LESSA, le juge pĂ©nal juge les hommes qui ont commis des faits. (LUZOLO BAMBI LESSA Emmanuel, BAYONA BA MEYA Nicolas Abel, Manuel de ProcĂ©dure PĂ©nale, PUC, Kinshasa, 2011, p.27).
-Le privilĂšge de juridiction va de paire avec la qualitĂ© de la personne au moment des poursuites et non au moment des faits c’est dans ce sens que la Cour SuprĂȘme de Justice a abondĂ© dans ce sens dans son arrĂȘt RPA 121 du 23 dĂ©cembre 1986. mettant en Ă©vidence la qualitĂ© de l'agent au moment de poursuites.

- En conclusion, les poursuites contre Monsieur MATATA PONYO MAPON, devenu SĂ©nateur relĂšvent de la compĂ©tence de la Cour de Cassation. Toutefois au regard de sa nouvelle qualitĂ©, il bĂ©nĂ©ficie de l’inviolabilitĂ© et celle-ci constitue un obstacle, lequel obstacle peut ĂȘtre levĂ© suivant la procĂ©dure prĂ©vue aux articles 73 Ă  79 de la 13/010 du 19 fĂ©vrier 2013 (F. KABANGE NUMBI, Exercice de l’action publique dans le systĂšme judiciaire, in Mercuriales du Procureur GĂ©nĂ©ral de la RĂ©publique, rentrĂ©e judiciaire 2010, inĂ©dit).

Ainsi, si le Procureur GĂ©nĂ©ral prĂšs la Cour de Cassation estime que la nature des faits et la gravitĂ© des indices relevĂ©s justifient l’exercice de l’action publique, il sollicite l’autorisation des poursuites au SĂ©nat au moyen d’un rĂ©quisitoire aux fins de l’instruction.

Et si par la suite, il estime devoir traduire l’inculpĂ© devant la cour, il adressera de nouveau un rĂ©quisitoire au SĂ©nat aux fins d’obtenir l’autorisation des poursuites.

Par ESHIMATA NGIMBI Kevin
Avocat, Chercheur en Droit et Apprenant en IIIe Cycle en Droit Public et Fondateur du Cabinet Waram DRC


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