Et si le Tribunal Militaire de Garnison de Kinshasa- Gombe était incompétent à juger dame Honorine PORCHE et sa bande ? (Cette réflexion a déjà été publiée au n°109/Année II, 29 octobre 2025 des brèves juridiques à Lubumbashi. Celle- ci est revue et augmentée)

Introduction

Depuis près de deux semaines déjà, la ville de Kinshasa en R.D. Congo vibre au rythme du procès relatif au braquage des bureaux de la Raw- Bank du rond- point victoire. Au banc des accusés se trouvent rangés dame Honorine Porche, civile de son état et plusieurs autres personnes ayant utilisées les armes à feu lors de cette expédition criminelle. La force publique composée de militaires et policiers après avoir maitrisé les acteurs présumés de ce braquage, a choisi de faire intervenir l’Auditeur Militaire de Garnison de Kinshasa- Gombe qui n’hésitât de saisir le Tribunal Militaire de Garnison de Kinshasa- Gombe en procédure de flagrance. Nous nous posons la question de savoir si ce dernier (le TMG) était compétent pour juger dame Honorine Porche et sa bande ?  

Comme l’a écrit le Professeur Grâce Muwawa Luwungi dans son ouvrage intitulé « Droit congolais des affaires. Règles de droit issues de l’Ohada, T.1, Le droit commercial général et son contentieux » : Le droit est beau, mais le raisonnement en droit est difficile. Cependant, cette réflexion scientifique tente de donner la lumière à ce sujet. 

Lecture juridique et technique de la question susvisée

​​Les compétences judiciaires sont d’attribution. De la sorte, une juridiction ne statue ni en compréhension ni en extension des compétences qui lui sont légalement reconnues (Lire à ce sujet, E. Mulenda Kabadundi, Manuel d’Organisation et compétences judiciaires, éditions Galimage, Kinshasa, 2022). En effet, la loi organique n°17/003 du 10 mars 2017 modifiant et complétant la loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire à son article 1ier modifie les articles 115 et 119 de la dernière loi. Mais, pour le besoin de cette réflexion et dans le cas d’espèce, c’est l’article 115 qui va nous intéresser en ce qu’elle dispose :  

« Les juridictions de droit commun sont compétentes dès lors que l'un de coauteurs ou complices n’est pas justifiable des juridictions militaires, sauf pendant la guerre ou dans la zone opérationnelle, sous 1'état de siège ou d'urgence ». 

​​Cette disposition est soutenue par la volonté du législateur congolais consignée dans l’exposé des motifs de la loiorganique de 2017 précitée qui a entre- autre comme objet, de régler la question de la juridiction compétente lorsque les civils et les militaires se trouvent dans un lien de corréité ou de complicité et ce, par l'harmonisation du Code judiciaire militaire avec la Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences de juridiction de l'ordre judiciaire, spécialement en ses articles 99 et 100 qui disposent respectivement ce qui suit : 

​ ​Si l’article 99 précité dispose que : 

« Lorsqu’une personne est poursuivie simultanément du chef de plusieurs infractions qui sont de la compétence de juridictions de nature ou de rang différents, la juridiction ordinaire de rang le plus élevé, compétente en raison de l’une des infractions, l’est aussi pour connaitre les autres » ; 

​L’article 100 de la même loi organique disposer que : 

« Sans préjudice des dispositions des articles 120 et 121 du Code judiciaire militaire, lorsque plusieurs personnes justiciables de juridictions de nature ou de rang différents, sont poursuivies, en raison de leur participation à une infraction ou à des infractions connexes, elles sont jugées l’une et l’autre par la juridiction ordinaire compétente du rang plus le plus élevé ».

​​De tout ce qui précède, il ne fait ombre d’aucun doute que la ville de Kinshasa n’est jusqu’à ce jour, ni une zone opérationnelle, ni de guerre, ni sous état de siège ou d’urgence d’une part et d’autre part, dans la bande criminelle conduite par dame Honorine Porche, figurent les prévenus non justiciables des juridictions militaires dont elle- même. C’est dans ce sens que l’article 115 précité trouve son application effective, que les juridictions militaires en général et le TMG- Gombe en particulier devra prendre son courage en y recourant.  

​​Ainsi, pour rester dans le camp de la légalité, le Tribunal Militaire de Garnison de Kinshasa- Gombe fera œuvre utile en décrétant son incompétence personnelle et renvoyer pour connaissance cette affaire au Tribunal de Grande Instance de Kalamu (Juridiction de droit commun du lieu de la commission des faits) ou au Tribunal de Grande Instance de la Gombe (Juridiction de droit commun compétente du lieu où les présumés coupables ont été amené pour besoin de l’instruction préparatoire) et ce, au regard de la disposition légale susvisée (article 115) qui détermine la juridiction ad hoc en cas de complicité ou de corréité pour mieux dire de coopération entre civils et militaires dans la commission d’une infraction. Les qualifications de vol à mains armées, association des malfaiteurs, etc. possibles d’être retenues dans le cas d’espèce sont, au regard des taux des peines se servitude pénale prévue par le Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal tel que modifié à ce jour, de la compétence du Tribunal de Grande Instancecomme l’indique l’article 89 de la Loi- organique de 2013 sus évoquée. 

​​L’article 19 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006 telle que modifiée en 2011 dispose à son alinéa 1ier que : Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. Il s’agit là d’une garantie pour un procès équitable pour les personnes accusées qu’aucune juridiction ne peut violer impunément. Dans le cadre du procès Honorine Porche et consorts, le juge naturel que la loi lui a assigné (avec sa bande) est celui des juridictions de droit commun et non une juridiction militaire. Le temps de la justice spectaculaire ou d’émotion est révolu dans un Etat de droit comme la RDC qui a ratifié plusieurs instruments internationaux et régionaux de protection des personnes accusées d’une infraction quelconque.  

Conclusion

​​Comme il n’a jamais été tard pour bien faire, notre veille juridique sur l’état de la question se boucle en ces termes : Pour la promotion de l’Etat de droit en R.D. Congo d’une part et d’autre part, pour le respect des droits fondamentaux des accusés internationalement et constitutionnellement reconnus, le Tribunal de Garnison de Kinshasa- Gombe devra courageusement décréter son incompétence personnelle dans cette affaire sous- examen. Faire le contraire confirmera le dépérissement de l’Etat.  

Eddy  Mulenda Kabadundi
Magistrat- Procureur de la République, Doctorant en Droit de l’UNILU
et Chef de travaux à l’Université Libre de Matadi
 


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