LES LIMITES DE LA CLAUSE D’INCESSIBILITE DE CREANCE A TITRE DE GARANTIE DANS UN CONTRAT MINIER DANS L’ESPACE OHADA

Résumé


La clause de cession est beaucoup utilisée dans la pratique de contrat pour préserver le caractère intuitu personae des relations qui sont basées sur la confiance. Cette même réalité est rencontrée dans certains contrats miniers par lequel, outre, le choix de la loi applicable, les parties interdisent ou limitent la cession à l’autorisation préalable. L’article 81 de l’AUS qui organise la cession de créance à titre de garantie rend inefficace l’opposabilité de l’incessibilité aux tiers lorsqu’elle est d’origine conventionnelle. En outre, la lecture de l’article 82 de l’AUS créé une obligation de l’inscription au RCCM pour l’opposabilité aux tiers, peu importe la loi choisit par les parties. Par ailleurs, une autre difficulté peut être rencontrée dans le Code minier au moment de la réalisation du contrat de cession qui sort ses effets jusqu’ aux accessoires (gage, hypothèqueminière).


Depuis quelques années, le secteur minier en République démocratique du Congo a connu quelques reformes marquées notamment par la mise en vigueur de la loi n° 18/001 du 9 mars 2018 qui a modifié et complété la loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier « Code minier ». Nous pouvons comprendre que cette réforme avait pour objectif notamment l’amélioration de la gouvernance en matière minière, lameilleure prise en compte des exigences environnementales ou encore l’attractivité des investisseurs étrangères entre autres.


Par le souci d’attirer les investisseurs vers le secteur minier, le Code minier reconnait l’exercice des activités minières aussi bien aux sociétés constituées suivant les lois de la République démocratique du Congo « RDC », qu’aux organismes à vocation scientifique et aux sociétés de droit étranger fonctionnant en conformité avec les lois de la RDC.Il sied de noter à juste titre que pour les sociétés de droit étranger et les organismes à vocation scientifique, elles ne sont limitées qu’au permis de recherche ou à l’autorisation de recherche des produits de carrières. Il ne leur est pas reconnu la possibilité de solliciter ni le Permis d’exploitation (« PE ») ni l’Autorisation d’Exploitation des Carrières Permanentes « AECP».


Le Code minier renvoie certaines matières aux règles consacrées par le droit de l’OHADA, notamment l’Acte uniforme relatif aux droits des sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique « AUDSCGIE » pour ce qui concerne la constitution des sociétés ainsi qu’à l’Acte Uniforme relatif auxSûretés « AUS » pour ce qui concerne la constitution, le fonctionnement et la réalisation des certaines sûretés. Ainsi,pour paraphraser (R) MULAMBA KATAMBA, « le droit uniforme est marqué d’une très forte dose de caractère d’ordre public ».


Par ailleurs, Le Code minier est moins rigoureux sur la forme des sociétés que sur l’objet social, qui doit porter exclusivement sur les activités minières.


On s’aperçoit bien, que la RDC a adhéré depuis le 12 septembre 2012 à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires (« OHADA »). L’espace OHADA a été créé afin d’assurer deux objectifs majeurs : la sécurité juridique et judiciaire. Pour y parvenir, le législateur a recouru au principe de supranationalité des Actes uniformes dès leur adoption.


Les règles consacrées dans le Traité OHADA ont un caractère abrogatoire avec une dose accentuée à l’article 10 du Traité qui dispose : « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».


Cette disposition est atténuée par une interprétation jurisprudentielle qui admet à quelques nuances près la survivance des règles locales non contraires à celles prévues par les Actes uniformes.


Cette souplesse est aussi ressentie à l’article 4 al 4 de l’AUS qui dispose : « Les sûretés propres au droit fluvial, maritime et aérien, les sûretés légales autres que celles régies par le présent Acte uniforme, ainsi que les sûretés garantissant l’exécution de contrats conclus exclusivement entre établissement de financement, peuvent faire objet de législations particulières », prévoit quelques garanties portant sur les droits miniers en vue de sécuriser l’exécution des engagements contractuels.


C’est à ce titre que, le Code minier a prévu, au côté des sûretés prévues dans l’Acte uniforme relatif aux sûretés (« AUS », certaines garanties à vocation de sécuriser les engagements concluent entre les sociétés minières et les établissements financiers ou assimilés.


Rappelons que l’exercice des activités minière est ardue, del’exploration, à la commercialisation en passant par l’entreposage, ce processus exige des moyens financiers, techniques et matériels d’une grande envergure que les sociétés de droit congolais ou étranger ne disposent pas forcément et parfois, recourent à la politique de crédit ou d’emprunt auprès des institutions financières internes ou des bailleurs des fonds de droit étranger.


Alors, à ce point, interviennent les questions relatives aux sûretés sur les titres miniers organisées par des textes particuliers applicables aux sûretés minières. L’on ne peut se douter que le rôle des sûretés est d’assurer la sécurisation des engagements des sommes à investir pour les différentes activités qui va de l’exploration à l’exploitation en passant par la recherche et la reconnaissance constitue l’une des raisons principales du recours au crédit et subséquemment de constitution de sûretés et garanties.


D’aucuns n’affirment que l’on donne qu’à celui qui a et partant, le dispensateur de crédit doit s’entourer d’un minimum de prudence pour garantir le remboursement, qui dans la pratique, est parfois difficile. Un proverbe Danois dit qu’il est difficile de restituer un pain déjà mangé.


Ces garanties concernent aussi bien les titres miniers que le gisement qui parfois souffrent de restriction légale quant à leur cessibilité ou transmissibilité. A côté des conditions légales organisées tant par l’AUS que les textes particuliers notamment le Code minier, les parties, peuvent dans le cadre de la conclusion de contrat de prêt ou de préfinancement prévoir des clauses limitant la possibilité de toute cession même si celle-ci était entouré des conditions suspensives.


Ceci vient concrétiser le principe de l’autonomie de volonté etliberté contractuelle qui gouverne le contrat. Actuellement, le contrat est au cœur des relations humaines. D’aucuns qualifient le contrat d’un mémoire de l’accord intervenu entre parties. Les contrats ainsi que les règles y consacrées peuvent présenter un caractère accessoire aux obligations dont ils sécurisent.  


Du fait de leur assiette, les sûretés sur les titres miniers sont complexes et présentent des réalités différentes. Notre analyse ne se limitera uniquement qu’à l’examen de la cession de créances à titre garantie dans un contrat minier prévues par l’AUS dont l’efficacité est limitée par des règles prévues dans le Code minier. (I) d’une part, et les limites de la claused’incessibilité des obligations et droit constatés dans un contrat minier.


I. CESSION DE CREANCE A TITRE DE GARANTIE

La base de la cession de créance à titre de garantie est l’article 80 al 1 de l’AUS qui dispose : « Une créance détenue sur un tiers peut être cédée à titre de garantie de tout crédit consenti par une personne morale nationale ou étrangère, faisant à titre de profession habituel- le et pour son compte des opérations de banque ou de crédit ».


L’AS est plus rigoureux en exigeant un écrit comme instrument de validité de la cession de créance. L’écrit a à la fois un caractère aussi bien probationem qu’ad valorem.


A l’analyse, il apparait clairement que la cession de créance à titre de garantie doit être constaté dans un écrit qui comporte à peine de nullité :


A. LE NOM OU LA DENOMINATION SOCIALE DU CEDANT ET DU CESSIONNAIRE

1. CEDANT OU CESSIONNAIRE PERSONNE PHYSIQUE

En droit congolais, la personne physique est identifiée par un nom composé du prénom, le nom et le postnom. L’ordre de déclaration du nom et leur orthographe sont immuables. Il n’est pas permis de changer de nom en tout ou en partie ou d’en modifier l’orthographe ni l’ordre des éléments. Toutefois, le changement peut être autorisé par le Tribunal de paix ou par le Tribunal pour enfant s’il s’agit d’un enfant âgé de moins de 18 ans.


Qu’adviendrait-il au contrat de cession si le nom mentionné dans le contrat du créancier ou du débiteur ne correspond pas exactement à l’ordre de déclaration tel que présenté dans la pièce d’identité valide (Passeport, carte d’identité, permis de conduire). Ce problème est beaucoup plus rencontré dans la pratique.


Il a été jugé dans une espèce par le Tribunal de commerce de Kinshasa/Gombe :



« L’article 56 alinéa 1 de la loi n°87-10 du 1erAoût 1987 telle que modifiée et complétée par la loi n°16/008 du 15 juillet 2016 portant code de famille dispose : Tout congolais est désigné par un nom composé d’un ou de plusieurs éléments qui servent à l’identifier. L’article 64 de la même loi dispose qu’il n’est pas permis de changer de nom en tout ou en partie ou d’en modifier l’orthographe éléments tel qu’il a été déclaré à l’état civil. Le changement ou la modification peut toutefois être autorisé, selon le cas, par le Tribunal de paix ou par le Tribunal pour enfants du ressort de la résidence du demandeur pour juste motif et en conformité avec les dispositions de l’article 58 de la présente loi. Dans le cas d’espèce, la juridiction présidentielle est en face de deux personnes dont Monsieur Bernard Emmanuel KABATUSILA BETU et Monsieur KABATUSILA Bernard. Constatant toutes les pièces gisant dans le dossier, elles se réfèrent à la personne de Monsieur KABATUSUILA Bernard et en conséquence, dira irrecevable la présente action pour défaut de qualité dans le chef de Monsieur Bernard Emmanuel KABATUSUILA BETU ».



En revanche, la CCJA a eu l’occasion de se prononcer en matière de voies d’exécution en ayant un penchant vers la théorie des équipollences chaque fois que le changement ou le bouleversement de l’ordre ne créée pas une confusion sur la personne dans l’espèce que voici :



« La nullité d’un acte de saisie attribution qui contient une identification du débiteur saisi différente de celle inscrite sur l’intitulé du compte ouvert dans les livres du tiers ne peut être prononcée que si chacune de ces identifications désigne des personnes différentes. Ainsi, l’action en nullité d’un acte de saisie attribution ne peut prospérer dès lors que, par une appréciation souveraine des juges du fond, il est établi que les différentes identifications en cause désignent la mêmepersonne juridique, à savoir le débiteur ».



Devons-nous donc conclure à cette thèse ou nous situer dans uncontexte différent la CCJA, en vertu de sa compétence mixte,aurait appliqué les actes uniformes ainsi que les dispositions nationales des États parties, qui parfois, ne sanctionne pas l’omission ou le changement de l’ordre de déclaration de nom ?


2. CEDANT OU CESSIONNAIRE PERSONNE MORALE

Important est de rappeler que la dénomination sociale d’une personne morale est celle mentionné dans les statuts ou le texte constitutif. Il n’est pas permis à une société de prendre la dénomination sociale d’une autre société déjà immatriculée au Registre du commerce et du crédit mobilier « RCCM ».


Il convient dès lors de souligner que les parties doivent renseigner dans le contrat, la même dénomination sociale ainsique la forme qui figurent dans les textes constitutifs de la personne morale.


Comme pour le nom, la Cour d’Appel de Kinshasa a pris la position suivante :



« Elle relève que la demanderesse sous RRT 012 devant la juridiction présidentielle du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe avait été précis dans son assignation quant à la dénomination Bank of Africa SA (BOA) de sorte que toutes les conséquences déduites de la condamnation ne peuvent concerner que cette dernière société. Elle est donc d’avis que la demande originaire sous RRT 012 est irrecevable pour mauvaise direction en ce que la Bank Of Africa-RDC SA ne pouvait être appelée à cette instance pour répondre de la condamnation prononcée à l’encontre de la Bank of Africa (BOA SA), défenderesse originaire ».



En revanche, la CCJA a pris une position différente en ayant pour fondement la théorie des équipollents, dès lors qu’aucune confusion n’est entretenue sur la personne morale. Mais, la réalité change en fonction de matière en l’occurrence en voies d’exécution, l’omission de la forme juridique est sanctionnée par la nullité de la saisie.


A cet égard, pour dissiper tout risque d’interprétation juridictionnelle à tort ou à raison, le contrat doit reprendre de façon non équivoque le nom ou la dénomination sociale tel que déclaré à l’état civil ou mentionnée dans les actes constitutifs.


B. DATE DE LA CESSION ET LA DESIGNATION DES CREANCES GARANTIES ET DES CREANCES CEDEES 

L’article 82 de l’AUS prescrit que le contrat de cession d’une créance, présente ou future, à titre de garantie, prend immédiatement effet entre les parties à la date de sa signature et, au débiteur cédée le jour de la notification de ladite cession et aux tiers à compter de son inscription au RCCM.


Ainsi, l’acte de cession doit porter une date pour produire les effets. Dans la pratique, l’entrée en vigueur du contrat est marquée soit par la signature, soit à l’exécution d’une condition suspensive ou résolutoire. Toutefois lorsque la date d’entrée en vigueur est celle de la date de signature, les parties doivent veiller à dater le contrat, à défaut il n’entrera pas en vigueur.


En plus, le contrat doit reprendre de manière claire et précise les différentes créances, en principal et intérêts, couvertes par la cession, ce, sous peine de nullité.


II. LIMITES DE LA CLAUSE D’INCESSIBILITE DE LA CREANCE

A. CLAUSE DE D’INCESSIBILITE

La clause de cession est souvent recommandée lorsque le contrat est conclu intuitu personae. L’intérêt est d’éviter de remplacer un partenaire par une personne dont on n’a pas confiance.


En principe, rien ne s’oppose à la cession du contrat ou de la créance. Par conséquent, si l’une des parties veut l’éviter, il faut le mentionner dans le contrat. La clause de cession permet de s’assurer que son partenaire sera toujours celui avec lequel on a choisi de contracter.


La clause de cession peut trouver quelques limites dans (1) le contrat, soit si les parties prévoient des dispositions interdisant le changement du partenaire, soit elles peuvent limiter la cession à l’autorisation ou information préalable endéans un délai ou moyennant une notification ; et (2) dans la loi.


B. LIMITES DE LA CLAUSE D’INCESSIBILITE DE LA CREANCE

Il convient de revenir sur variabilité de l’opposabilité de la clause d’incessibilité, l’AUS pose des limites (a) et la pratique minière peut en quelque sorte empêcher l’effectivité d’une cession de créance relative aux activités minières.


1. LIMITE POSEE PAR L’AUS

La base de cette limitation est l’article 81 alinéa 2 de l’AUS qui dispose : « L’incessibilité de la créance ne peut être opposée au cessionnaire par le débiteur cédé lorsqu’elle est de source conventionnelle et que la créance est née en raison de l’exercice de la profession du débiteur cédé ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale ».


L’article 82 ajoute que la cession devient opposable aux tiers à compter de son inscription au RCCM quelle que soit la loi applicable à la créance et la loi du pays de résidence de son débiteur.


L’incessibilité judiciaire mise à part, le débiteur cédé ne peut opposer au cessionnaire la clause d’incessibilité convenue dans le contrat principal surtout lorsque la créance est née des activités professionnelles du débiteur en l’occurrence, l’exploration, l’entreposage, la recherche, le transport et la commercialisation des activités minières.


S’il est admis aux parties d’insérer dans le contrat la clause d’incessibilité ou de cession moyennant autorisation préalable, cette clause, lorsqu’il s’agit d’une cession de créance à titre de garantie, souffrira d’inefficacité juridique sur pied de l’article 81 de l’AUS et ce, même si les parties ont choisi comme loi applicable une loi de pays non membre de l’OHADA.


2. LIMITE POSEE PAR LE CODE MINIER

Ici nous avons voulu analyser les limites de la cession de la créance à titre de garantie au bénéfice des cessionnaires ne remplissant pas les conditions prévues dans le Code minier, règlement minier et l’AUSDGIE.


A l’analyse de l’article 83 de l’AUS qui dispose : « A moins que les parties n’en conviennent autrement, la cession s’étend aux accessoires de la créance et entraîne de plein droit leur transfert et son opposabilité aux tiers sans autre formalité que celle énoncée à l’article précédent », nous comprenons que  si les parties n’ont pas limité la cession aux seules obligations principales, la cession d’une créance à titre de garantie entrainera des effets direct sur les accessoires notamment la caution, le gage ou hypothèque sur les titres miniers ou des produits marchands.


L’article 355 du CCCLIII ajoute « La vente ou la cession d’une créance comprend les accessoires de la créance, tels que caution privilège et hypothèque ».


Si les parties n’ont pas expressément limité la cession de la créance au principal, l’effectivité de ladite cession sera soit rendue malaisée si le cessionnaire n’est pas une activité minière, soit retardée par le délai butoir de 6 mois accordé par la loi pour la conformité aux règles prescrites dans le Code minier.


L’on comprend mieux cette limitation à l’analyse de l’article 172 du Code minier qui dispose aux alinéas 1, 2 et 4 :



« En cas de constat de défaillance du titulaire de ses obligations envers le créancier hypothécaire à l’échéance convenue et fixée dans l’acte d’hypothèque, celui-ci peut engager la procédure de l’exécution forcée conformément au droit commun.


Toutefois, le créancier hypothécaire peut se substituer au débiteur défaillant et requérir ainsi la mutation partielle ou totale du droit minier ou de carrières à son propre nom s’il réunit les conditions d’éligibilité prévues à l’article 23 du présent Code.


Si le créancier hypothécaire n’est pas éligible aux droits miniers et/ou de carrières, il lui est accordé un délai de six mois, soit pour se conformer aux règles de l’éligibilité, soit pour se faire substituer par une autre personne éligible aux droits miniers ou de carrières concernées par l’hypothèque ».



On le sait la RDC a consacré le caractère spécial aux suretés minières, cette spécialité accentuée à l’article 4 alinéa 4 de l’AUS, annihile les effets de la cession de créance à titre de garantie qui risque de demeurer une garantie sur papier si le cessionnaire ne satisfait aux obligations prescrites par le Code minier.


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