REVISION DE LA CONSTITUTION ET NECESSITE DE RATIONALISER LE FONCTIONNEMENT DE L’ETAT ET DE MORALISER LA VIE PUBLIQUE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO.
Par
Camille NGOMA KHUABI
Professeur d’Universités

Introduction 

L’actualité politique au cours de ces derniers mois reste dominée par les débats sur la révision ou le changement de la Constitution, sur fond de l’interprétation de certaines de ses dispositions, en particulier l’article 217, par des acteurs aussi bien du monde universitaire que de la classe politique. 

Au-delà du sens réel ou supposé donné à cette disposition, le cadre me paraît bien indiqué pour rappeler que la question de la révision ou de changement de la Constitution comporte à la fois une dimension juridique, politique et stratégique, qui ne peut être éludée dans une société démocratique, pour autant que, il faut le rappeler, notre Constitution prévoit elle-même la procédure de sa révision à son article 218. Face à cette réalité, et au-delà de toute la passion que cette question alimente, cette étude se propose d’apporter quelques éléments de clarification sur la nécessité de réviser plusieurs dispositions de la Constitution du 18 février 2006.  

Dans une approche objectiviste, l’étude montre que la révision d’un certain nombre de dispositions est nécessaire pour rationaliser le fonctionnement de l’État (II) et moraliser la vie publique (III). Mais, dans un premier temps, l’étude apportera quelques éléments ontologiques de l’article 217, en relevant la dimension stratégique de l’interprétation qui en est faite en ce moment précis (I). 

I.    Les éléments ontologiques de l’article 217 et sa dimension stratégique

L’article 217 de la Constitution dispose : « La République démocratique du Congo peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de réaliser l’unité africaine ». Si, le contexte sociopolitique et sécuritaire du pays confère à cette disposition une dimension stratégique (B), nous montrons dans un premier temps que son contenu comporte une dimension historique qui fait de lui le symbole, à vrai dire, l’incarnation de la philosophie de la politique africaine du Congo (A).

A.    L’article 217 incarne la philosophie de la politique africaine du Congo 

La politique étrangère de la RDC comporte une dimension africaine très poussée, qui remonte du début de la Deuxième République, après une période d’isolement diplomatique durant les cinq premières années de son accession à l’indépendance. Si, le professeur Kirongozi attribue cette situation à un manque d’expérience en matière de politique extérieure , dans son ouvrage sur le Regroupement régional dans la politique étrangère du Zaïre, publié en 1980, le Professeur Mamba Wa Ngindu montre que, toute cette période était caractérisée par « l’absence d’une politique cohérente sur le plan international » . 
C’est donc à partir de 1965, que le pays cesse d’être le cœur malade de l’Afrique et devient rapidement sujet des plus influents de la politique africaine « pour jouer le rôle conforme à sa vocation de pays charnière de l’unité africaine, à sa taille semi-continentale et à ses immenses possibilités économiques » . Aussi, dans son discours prononcé le 30 juin 1966, à l’occasion du sixième anniversaire de l’indépendance du pays, le Président Mobutu déclare : 
« Avant nous, les politiciens, ignorant que notre pays se trouve au cœur de l’Afrique, ont brillé par une politique d’hostilité à l’égard des pays frères, lesquels politiciens mirent en conséquence le Congo au ban des nations africaines. Nous avons sorti la République démocratique du Congo de cet isolement. Nous avons renforcé des liens d’amitié avec tous nos voisins ; et même, dans la limite de nos moyens, nous n’avons pas hésité à apporter notre soutien à ceux de nos voisins qui en avaient besoin. Nous avons déjà établi des bases solides avec le Rwanda et le Burundi en vue de constituer une communauté économique et douanière… » .

Au cours de cette période, la participation du Zaïre dans les organisations internationales a été couronnée par la tenue à Kinshasa, du 12 au 14 février 1967 , du deuxième sommet de la Conférence des États d’Afrique centrale et orientale (CEACO), la tenue toujours à Kinshasa du 4ème sommet de l’OUA en septembre 1967, la tenue à Kinshasa du 11ème sommet extraordinaire du Conseil des ministres de l’OUA en décembre 1976 et le paiement régulier de ses contributions financières au budget de l’OUA . À ces prouesses diplomatiques il convient d’ajouter le fait que le Zaïre est l’initiateur de la création de la CEPGL en 1976  et de l’Union des États d’Afrique centrale (UDEAC)  devenue « Communauté Économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) », instituée en 1983. 

Cette politique africaine du Congo devrait par la suite être constitutionnalisée et apparaît pour la première fois dans la Constitution du 24 juin 1967 dont l’article 69 dispose : 
« En vue de promouvoir l’unité africaine, la République du Zaïre peut conclure des traités et accords d’association comportant abandon partiel de sa souveraineté » .
Cette formulation qui n’a pas changé malgré les 17 modifications  de la Constitution de 1967 a été maintenue dans la Constitution actuelle du 18 février 2006, proclamée dans le préambule, affirmée et traduite à son article 217. Dans le Préambule de la Constitution on peut lire :   
« Mû par la volonté de voir tous les États Africains s’unir et travailler de concert en vue de promouvoir et de consolider l’unité africaine à travers les organisations continentales, régionales ou sous-régionales pour offrir de meilleures perspectives de développement et de progrès socio-économique aux Peuples d’Afrique »  ;
« Attaché à la promotion d’une coopération internationale mutuellement avantageuse et au rapprochement des peuples du monde, dans le respect de leurs identités respectives et des principes de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque État » .

La concrétisation de ces affirmations se traduit à l’article 217, qui dispose : « La République Démocratique du Congo peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine ».
Sur le plan africain, cette disposition est reprise dans les constitutions de plusieurs pays avec des formulations nuancées. Parmi les Constitutions des dix pays consultées, cinq dont, la République Centrafricaine , Mali , Côte d’Ivoire , Sénégal , et Gabon , reprennent une formulation identique à celle de la RDC. En revanche, les Constitutions du Tchad , République du Congo , Burundi  et Bénin  sont plus nuancées. Le Tchad et le Bénin sont proches et disent :  « La République du Bénin/Tchad peut conclure avec d'autres États des accords de coopération ou d'association sur la base des principes d’égalité, de respect mutuel de la souveraineté, [de l’intégrité territoriale] , des avantages réciproques et de la dignité nationale ».
Un second alinéa de la Constitution du Tchad ajoute « Elle peut créer avec des États des organismes de gestion commune, de coordination et de coopération dans les domaines économique, monétaire, financier, scientifique, technique, militaire et culturel » .
Les constitutions de la République du Congo et du Burundi disent la même chose en ces termes :
L’article 221 de la Constitution de la République du Congo de 2015 dispose : « La République du Congo peut conclure des accords d’association avec d’autres États. Elle accepte de créer, avec ces États des organismes inter-gouvernementaux de gestion commune, de coordination, de libre coopération et d’intégration ».

L’article 278 de la Constitution de la République du Burundi du 18 mars 2005 révisée le 7 juin 2018 dispose : « La République du Burundi peut créer avec d’autres États des organismes internationaux de gestion et de coordination commune et de libre coopération. Elle peut conclure des accords d’association ou de communauté avec d’autres États ».
Comme on peut le constater, l’abandon partiel de souveraineté est une expression technique utilisée dans les traités d’intégration régionale en vue d’affirmer la volonté des États à conférer des compétences précises à une entité juridique créée pour la gestion commune des politiques d’intégration décidées de commun accord. Il peut également signifier « transfert partiel de compétence ». Mais, qu’il s’agisse de l’expression « abandon partiel de souveraineté » ou celle de « transfert partiel des compétences », l’un ou l’autre se fait au profit de l’entité juridique née du traité conclu entre les États parties.   
Dans tous les cas, l’entité juridique créée reçoit pour mission de coordonner la gestion des politiques communes au nom des États membres ou parties au traité qui les lient.  Il en est ainsi dans le cadre de l’Union africaine, de la CEEAC, SADC, COMESA, EAC, COMIFAC, OHADA, CIRGL, GVTC, etc., où la RDC et les autres États membres ont laissé un certain nombre des domaines de leurs politiques internes être gérés par ces organisations régionales. L’abandon partiel de souveraineté ou le transfert partiel de compétence peut l’être en matière de défense, commerciale ou judiciaire.  
En matière de justice, par exemple, le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA) auquel la RDC a librement adhéré en 2012 , institue une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage à qui les États abandonnent une partie de leur souveraineté en matière judiciaire. Les États abandonnent, ils transfèrent une partie de leur souveraineté, de leur compétence en matière de justice, à cette CCJA, qui devient leur Cour commune de cassation concernant toutes les décisions en matière du droit des affaires relevant des actes uniformes. À cet égard, l’article 14 al.3 du Traité révisé de l’OHADA stipule :    
« Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’Appel des États Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales ». « Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des États Parties dans les mêmes contentieux » .

Il en découle que, l’art. 217 ne saurait être associé ou confondu ni à l’article 5 de notre Constitution, qui parle de la souveraineté nationale, ni à l’article 214 qui, prévoit un référendum en cas d’échange, adjonction ou de cession d’une partie du territoire.
Et, comme on peut le constater, si juridiquement, l’article 217 constitue l’incarnation de la politique africaine du Congo [qui n’est pas ignorée des acteurs politiques], l’interprétation qu’ils en font en ce moment précis, nous semble plus stratégique.

Télécharger l'intégralité de l'article içi Cliquer içi pour voir le profil de l'auteur

PARTAGER

COMMENTAIRES :

  • LAISSER UN COMMENTAIRE