Discours de Félix Tshisekedi à la 77ème Assemblée générale des Nations Unies : note d’actualité

Au moins une fois chaque année, cent quatre vingt treize délégations consacrent par leur présence dans l’immense hall du Palais de verre, le siège de l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York, le rôle unique que joue cette organisation dans la conduite des affaires du monde. La 77ème Assemblée générale de l’ONU qui s’est ouverte ce mardi 20 septembre 2022 se tient dans un contexte dramatique, le choc créé par la guerre russo-ukrainienne en Europe et ses conséquences à l’échelle mondiale. Au cours du débat général placé sous le thème « Un tournant décisif : des solutions transformatrices face à des défis intriqués », le président congolais Félix Tshisekedi s’est exprimé pour la quatrième fois sur des nombreuses questions d’intérêt mondial notamment le maintien de la paix et de la sécurité internationale, la mise en œuvre des instruments juridiques et financiers dans le cadre des différentes Conférences des parties à l’Accord des Nations Unies sur le climat, la transition énergétique, la promotion d’une croissance économique mondiale équilibrée et la lutte contre la pauvreté.

Pour ne pas esquiver l’urgence dictée par l’actualité dans le pays, le président congolais a dénoncé l’indifférence de la « communauté internationale » face à ce qu’il qualifie de « crise sécuritaire aigue » qui dure depuis plus de vingt ans à l’Est du Congo. Il a eu raison de remettre en question la pertinence de la présence onusienne au Congo. Puisqu’on sait qu’il y a bien longtemps que l’ONU y a déployé sa plus importante opération de maintien de la paix. Vingt trois ans! On sait aussi l’ampleur de la menace posée par les activités armées de la pseudo-rébellion du M23 qui occupe actuellement Bunagana avec le soutien des armées étrangères (notamment l’armée rwandaise d’après des nombreux rapports du Groupe d’experts des Nations unies sur le Congo). On sait enfin que c’est pour cette raison que le Conseil de sécurité, par sa résolution 2098 du 28 mars 2013, a créé une « brigade d’intervention » spécialisée au sein de la MONUSCO chargée de « neutraliser » tous les groupes armés menaçant l’autorité de l’Etat et la sécurité des populations civiles. Initialement formée de trois bataillons d’infanterie, une compagnie d’artillerie, une force spéciale et une compagnie de reconnaissance, y compris d’une capacité d’observation aérienne au moyen des drones, cette « brigade d’intervention » a cruellement manqué à son objectif principal. Si des résultats ont été obtenus, ils n’ont pas été à la hauteur des défis.

Au moment où s’accumulent les manifestations et s’aggrave le désaveu des Congolais contre la MONUSCO, se pose une question fondamentale : dans un contexte d’effondrement des institutions de l’Etat, en particulier la police et la justice, qui se traduit par la paralysie des pouvoirs publics, le désordre, l‘anarchie et le banditisme généralisé, quelles perspectives de paix en République démocratique du Congo sans l’ONU ? A supposer que le retrait effectif, total et définitif de la MONUSCO ait réellement lieu, cette défaillance de l’Etat selon la qualification de Francis Fukuyama, à cause des conséquences qu’elle emporte sur le plan régional et international, ne risquerait-il pas de nous conduire à la case du départ ?
Il est essentiel de le rappeler. Les insuffisances des solutions nationales et une sorte de désinvolture des organes de l’Etat fondent la légitimité de l’intervention de l’ONU. L’échec des Nations unies à maintenir la paix et la sécurité au Congo ayant été acté, les exigences du moment ne devraient plus permettre de s’aveugler. Compte tenu de la marginalisation du Congo, des dures réalités politiques et économiques internationales qui obligent les Etats à compter d’abord sur eux-mêmes, les Congolais se doivent de construire tout d’abord un Etat, puis un Etat de droit, stable et démocratique, capable de défendre la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale et de promouvoir une grande vision à la dimension du pays. Car, un véritable « Etat de droit » devrait être pour des millions d’individus une possibilité de répondre à leur vocation d’hommes. Le personnel qui se réclame de la qualité de gouvernement doit exercer une autorité effective dans l’espace sur lequel s’est établie la population. Non pas ressembler à un groupe maffieux, faisant main basse sur le patrimoine de tout un peuple et imposant sa loi à la population.

Alors que les Congolais soutiennent que leur pays est victime d’une guerre d’agression dû principalement à l'implication du Rwanda et de l’Ouganda, l’ONU et d’autres institutions internationales semblent maintenir qu’il s'agit d’un conflit interne auquel il faudrait trouver une « solution politique » par voie de négociation. Cette tentative d’ « interniser » le conflit entrave la capacité globale de l'ONU. Les Congolais ont même l’impression d’être traités au sein des « Nations unies » comme des citoyens de « seconde zone » par rapport aux Ukrainiens par exemple. En l’espace d’une semaine, l’Assemblée générale de l’ONU ne s’est-elle pas réunie en session extraordinaire d’urgence le 2 mars 2022 pour voter une résolution sur l’agression de l’Ukraine ? Pourquoi New York, Washington, Paris, Bruxelles, Londres, Addis-Abeba ne manifestent-elles pas la même indignation, vertueuse et légitime, pour condamner l’agression rwandaise contre le Congo et exiger le retrait immédiat du M23 du territoire occupé de Bunagana ? Aucune sanction onusienne n’a été prise à l’égard du Rwanda, à la différence de la Russie impliquée dans la guerre en Ukraine.

Le caractère tragique de la situation actuelle en RDC achève de montrer la nécessité d’imaginer d’autres alternatives plus crédibles qui pourraient s’adapter à la logique de l’épreuve des forces qui conditionne la réalité sur terrain. Dit autrement, la diplomatie peut-elle encore se prévaloir des vertus de la négociation pour en venir à bout de canons ? On ne s’engage pas dans la voie de la guerre quand on n’a pas une armée forte et républicaine. On ne s’engage pas dans la voie des rapports de force politiques sans asseoir une légitimité réelle vis-à-vis de sa propre population. Si l’on veut réellement remédier à cette situation et pour éviter que ce discours ne soit purement rhétorique, il faut penser l’impossible, inventer des conditions d’émancipation à l’échelle de nos défis et des intérêts nationaux bien compris. Encore faut-il espérer que les mutations sociales internationales en cours, caractérisées par l’émergence de nouvelles puissances (les BRICS) développant des conceptions idéologiques, politiques, économiques, sociales et culturelles très diversifiées, sonnent le glas de cette oligarchie de fait dont le Congo fait les frais :
Nous les gueux
Nous les peu
Nous les rien
Nous les chiens
Nous les maigres
Nous les Nègres

Nous à qui n’appartient
guère plus même
cette odeur blême
des tristes jours anciens
(…)
Qu’attendons-nous
Les gueux
Les peu
Les rien
Les chiens
Les maigres
Les nègres
Pour jouer aux fous
Pisser un coup
Tout à l’envi
Contre la vie
Stupide et bête
Qui nous est faite


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